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L’entreprise libérée : définition à la lumière du droit du travail

Le 12 August 2020
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Depuis quelques années, la notion d’entreprise libérée fait parler d’elle grâce à Isaac Getz et Jean François Zobrist. Ces auteurs-conférenciers ont en effet remis au goût du jour “ l’entreprise libérée “, notion déjà connue et développée depuis 1988 par Tom Peters auteur américain spécialiste du management.

L’entreprise libérée : définition à la lumière du droit du travail

Que signifie le concept de l’entreprise libérée ?

L’objectif du concept est simple : donner une place centrale à l’humain dans l’entreprise en lui permettant de s’auto-gérer sans être supervisé par un responsable hiérarchique. Autrement dit, le salarié est totalement libre.

La structure pyramidale étant ainsi remise en cause, chaque salarié de l’entreprise est désormais perçu comme le maillon d’une chaîne constituant une communauté de travail aux intérêts communs. Chacun apporte ses compétences propres à l’entreprise grâce à son initiative individuelle.

Si le concept d’entreprise libérée séduit de plus en plus, il interroge aussi sur les moyens de sa mise en place d’un point de vue juridique. L’entreprise libérée est-elle toujours compatible avec le droit du travail dans l’entreprise ? Y- a t-il des points de vigilance à aborder afin de mettre en place l’entreprise libérée dans le respect de la réglementation sociale ?

Si l’entreprise libérée semble s’aligner avec la protection des salariés prônée par le Code du travail, le concept se heurte aussi à d’autres dispositions. Retour sur les contours et les limites juridiques d’un concept prometteur.

L’entreprise libérée favorable à la protection du salarié en droit du travail

L’entreprise libérée désigne une forme organisationnelle dans laquelle les salariés s’auto-gèrent, ce qui signifie qu’ils sont totalement libres des actions qu’ils mènent et qu’ils sont responsables.

Le système pyramidal laisse place à un système linéaire ou chacun possède sa compétence propre et peut ainsi participer à la vie de l’entreprise dans un climat de confiance et de reconnaissance, sans directives ni contrôles des supérieurs.

Cette liberté du salarié fait écho à la vocation du droit du travail de protéger le salarié contre tout asservissement au travail. Le droit du travail vise en effet à rétablir l’équilibre rompu entre salarié et employeur en raison du lien de subordination existant entre eux.

Aussi, le Code du travail prévoit diverses façons de revaloriser la position du salarié en le faisant par exemple participer au résultat de l’entreprise. C’est l’objet du dispositif de l’intéressement en entreprise grâce auquel le salarié n’est plus perçu comme un simple exécutant de directives mais comme un véritable acteur de la vie de l’entreprise.

L’intéressement a pour objet d’associer collectivement les salariés aux résultats ou aux performances de l’entreprise ” (article L3312 Code du travail).

Les motivations du concept d’entreprise libérée se retrouvent aussi dans les dispositions du Code du travail relatives à la négociation collective.

En effet, cette négociation qui consiste aux discussions entre repré­sentants d’employeurs et organisations syndicales représentatives des salariés afin de conclure une convention ou un accord, confère la liberté aux salariés de négocier l’élaboration de nouvelles normes professionnelles.

(…) la détermination des relations collectives entre employeurs et salariés. Il définit les règles suivant lesquelles s’exerce le droit des salariés à la négociation collective de l’ensemble de leurs conditions d’emploi, de formation professionnelle et de travail ainsi que de leurs garanties sociales.” (article L2221-1 Code du travail).

Parmi les autres dispositions protectrices du salarié nous pouvons également citer l’interdiction pour l’employeur de discriminer les salariés en raison de leur origine, sexe, mœurs, orientation sexuelle, âge ou situation de famille etc. (article L.1132-1 Code du travail)

Enfin, le droit du travail protège les droits et les acquis des salariés dans le temps notamment lorsqu’une modification de la situation juridique de l’employeur survient. Ainsi, en cas de reprise d’une entreprise par un nouveau propriétaire, les contrats de travail sont maintenus en vertu de l’article L.1224-1 du Code du travail.

Ces quelques exemples ne constituent pas une liste exhaustive des dispositions protectrices des salariés qui sont très nombreuses, mais suffisent à rappeler que la liberté des salariés est au cœur de la relation contractuelle, en dépit du lien de subordination juridique auquel ils sont soumis.

Dans ce sens, le droit du travail et l’entreprise libérée poursuivent les mêmes objectifs.

L’entreprise libérée à l’épreuve du droit du travail

L’auto-gestion totale des salariés et leur autonomie dans la prise de décisions soulèvent plusieurs questions juridiques en droit du travail.

Tout d’abord concernant la durée du travail, rappelons que le Code du travail prévoit que sauf dérogations conventionnelles ou collectives, le salarié est soumis à une durée légale de travail de 35 heures par semaine (article L3121-27 Code du travail). Le salarié n’est pas autorisé à travailler au delà de la durée maximale. Or, dans le cadre d’une entreprise libérée on peut s’inquiéter d’une surcharge de travail fréquente d’un salarié totalement autonome qui doit gérer toute la situation. L’hypothèse d’un dépassement de la durée du travail serait alors plus que probable.

Par ailleurs, se pose la question de la frontière entre cadres dirigeants et non-cadres. En effet, le Code du travail énonce que :

sont considérés comme ayant la qualité de cadre dirigeant les cadres auxquels sont confiées des responsabilités dont l’importance implique une grande indépendance dans l’organisation de leur emploi du temps, qui sont habilités à prendre des décisions de façon largement autonome et qui perçoivent une rémunération se situant dans les niveaux les plus élevés des systèmes de rémunération pratiqués dans leur entreprise ou établissement.” ( article L. 3111-2 – Code du Travail).

sont considérés comme ayant la qualité de cadre dirigeant les cadres auxquels sont confiées des responsabilités dont l’importance implique une grande indépendance dans l’organisation de leur emploi du temps, qui sont habilités à prendre des décisions de façon largement autonome et qui perçoivent une rémunération se situant dans les niveaux les plus élevés des systèmes de rémunération pratiqués dans leur entreprise ou établissement.” ( article L. 3111-2 – Code du Travail).

Le statut de cadre dirigeant implique donc une liberté et une autonomie totale dans les fonctions qui va de paire avec l’engagement d’une responsabilité en fonction des décisions prises qui peuvent parfois être lourdes de conséquences.

La confusion entre cadres dirigeants et non cadres serait grande dans le contexte d’une entreprise libérée, puisque tous les salariés sont concernés par une auto-gestion et une autonomie dans leur organisation du travail sans distinction de statut.

Ces quelques interrogations juridiques laissent penser qu’il est important pour la mise en place d’une entreprise libérée de délimiter un cadre réglementaire clair afin de rendre compatible le concept avec le droit du travail. Les impacts en droit social peuvent en effet être nombreux et il faudra préciser les règles et les limites à respecter.

Textes de référence :

  • article L.3312 Code du travail
  • article L.1132-1 Code du travail
  • article L.2221-1 Code du travail
  • article L.1224-1 Code du travail
  • article L.3121-27 Code du travail
  • article L. 3111-2 Code du Travail
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